Valdés sur les pas de Velázquez

Ce fut en 2005 et ce fut à Paris. Vingt-et-une sculptures en bronze, à taille humaine, déferlaient sur les Jardins du Palais-Royal, répondant par leurs rondeurs patinées aux colonnes, si rectilignes, des Deux Plateaux de Buren. Les Meninas de Manolo Valdés furent l’un des évènements artistiques de l’année et leur succès parisien devait leur ouvrir les portes des plus belles villes d’Europe, de Düsseldorf et Helsinki à Zurich et Cordoue. L’installation du Palais-Royal marquait un point d’inflexion dans l’Œuvre de cet artiste contemporain espagnol qui jusque là s’était surtout fait connaître comme l’un des meilleurs peintres de sa génération. Désormais, Valdés était aussi sculpteur. Il devenait monumental.

Ses Meninas étaient des interprétations des célèbres silhouettes de la Reina Mariana et de l’Infanta Margarita peintes à maintes reprises par le grand maître du siècle d’Or espagnol Diego Velázquez. Dans la réélaboration qu’il en faisait, Valdés opérait des changements considérables sur celles-ci. D’abord, il leur joutait le volume, la masse et le poids. Pour faire le tour de ces personnages royaux, Valdés devait inventer des éléments que les toiles du maître sévillan, bidimensionnelles, ne révélaient pas. Dans son effort pour saisir les ressorts profonds de l’image, il devait aussi en effacer d’autres : les linéaments de la Reina Mariana et de l’Infanta Margarita, le rendu des costumes, des médailles et des rubans qui permettaient autrefois de reconnaître immédiatement le personnage et ses titres de noblesse. Reproduire le visage de ses commanditaires, chose qui était essentielle pour Velázquez, devenait superflue pour Valdés. Il demeure que si nous avons oublié les visages, et même les noms des puissants du temps jadis, les images qu’on en a faites ont traversé le temps. Ainsi, les sculptures de Valdés réaffirmaient la primauté de l’artiste sur le monarque, un peu comme Velázquez lui-même le suggérait dans Las Meninas où le regard du créateur surplombe l’espace pictural pour indiquer que celui qui construit l’image du roi est aussi celui qui garantit son pouvoir. Manolo Valdés décèle ainsi, ou « pointe du doigt », comme le dirait Jean Dubuffet les interstices où loge la beauté des œuvres de Velázquez.

Il les connaît bien, cela ne fait aucun doute. Le dialogue intericonique avec ce grand maître est une constante de l’œuvre de Valdés. Dès les années 70, alors qu’il faisait partie du célèbre collectif Equipo Crónica, introducteur du Pop Art en Espagne, il reprenait dans ses toiles pastiches, les images des principaux personnages vélazquiens – Philippe IV, le Conde Duque de Olivares, l’Infanta Margarita et la Reina Mariana. Après la disparition d’Equipo Crónica, Valdés revint à l’étude de Velázquez en solitaire pour comprendre pleinement la manière dont le maître sévillan rend les changements de texture et d’éclairage des longs habits noirs à la bourguignonne, les contrastes entre les tons gris des fonds et les carnations très pâles des personnages de ses toiles. Exposée en 1986 à la galerie Maeght, cette série de Valdés qui flirtait avec l’abstraction à la Nicolas de Staël, contenait déjà, comme un croquis, bon nombre de trouvailles plastiques qui allaient être mises à profit dans les sculptures qui se feraient leur place au soleil dans le Palais-Royal de 2005.

Quinze ans plus tard, Valdés revient à Paris et son œuvre, pleine de toute l’expérience acquise, est plus audacieuse que jamais. Il n’a jamais cessé de décliner les silhouettes des Meninas en expérimentant avec les formes, les matières et les couleurs, gardant, malgré sa longue trajectoire et sa renommée, une curiosité inépuisable pour les nouvelles techniques et les nouveaux médiums. Matériau typique de sa série récente Butterflies, sa Reina Mariana en aluminium acquiert la légèreté et la perméabilité au vide. Les surfaces lisses de ce même métal qui compose les ailes des papillons de Mariposas les transforment en miroirs de la ville, incorporant, dans une sculpture figurative, les trouvailles des œuvres in situ d’Anish Kapoor. L’Infanta Margarita en résine devient translucide et colorée créant ainsi un oxymore visuel qui unit la silhouette d’une œuvre de l’art classique universel à une matière qui évoque inévitablement notre époque. En cela, ces Ménines colorées – orange, bleue, parme, noire – rappellent les premières sculptures que le collectif Equipo Crónica développait sur ces personnages dans les années 70. Les Múltiples, appelés ainsi car ils pouvaient être moulés en série, étaient des sculptures en cartonpâte – matière préférée des falleros de Valence – qui pastichaient avec humour les grands classiques espagnols, en incorporant des éléments de l’actualité ou des motifs textiles et des couleurs contemporaines. Les Meninas actuelles en résine viennent clore
élégamment ce cycle.

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