Clio et la demeure des Muses

Pendant ces quinze dernières années l’œuvre sculpturale de Valdés a connu une éclosion thématique sans précédent et l’évolution de son rapport à la peinture, qu’il n’a jamais cessé de pratiquer, y est certainement pour quelque chose. Valdés a toujours été inspiré, au-delà de Velázquez, par le dialogue permanent avec les grands maîtres de l’art occidental. Son amour pour l’étude des classiques a fait de lui le peintre de l’Histoire de l’Art ce qui explique peut être qu’il revienne si souvent dans sa statuaire récente sur le personnage de Clio, la Muse antique de l’Histoire, qu’il décline en s’inspirant librement de la Clio de Botticelli sous la forme d’une tête ovale sur laquelle il dispose des géométries de fleurs ou de faisceaux. Cependant, quelque chose a changé dans sa pratique de la peinture dans les dernières décennies. Au début des années soixante-dix, fraîchement parti des Beaux-Arts de Valence, la référence aux maîtres du passé était un jeu iconoclaste. Elle devint ensuite un défi technique puisque Valdés délaissa progressivement l’acrylique et les sérigraphies de l’époque Pop pour apprendre à peindre comme les maîtres d’antan, puis à les déconstruire en pratiquant une peinture à basse fréquence figurative. Le jeu d’intericonicité devient ainsi une méthode artistique similaire au relevé des standards chez les jazzmen. D’El Greco à Tàpies, en passant par les maîtres flamands du portrait, les impressionnistes, Picasso et Matisse, le musée imaginaire de Valdés n’a cessé de s’élargir au cours de sa vie car au Prado et au Reina Sofía de Madrid succèdent le Metropolitan Museum et le MoMA de New York, où il vit depuis le début des années 1990.

Manolo Valdés, Matisse como Pretexto con Verde, 2019

Seulement, depuis les années 2000, et surtout avec sa série de grands portraits Rostros et Cabezas, il cesse de créer à partir des images du canon universel pour le faire en compagnie des styles des grands maîtres. En d’autres mots, il cesse de créer à partir des images de Velázquez, pour le faire avec le style de Brancusi, avec Matisse, avec Modigliani ou avec Picasso. Bref, Valdés est sorti de la demeure des Muses, où il avait vécu si longtemps. Valdés est sorti du Musée. Cela a libéré aussi bien sa peinture que sa sculpture et a conféré une extraordinaire cohérence thématique entre Cabezas, les portraits peints en grand format aux couleurs vives, et les grandes têtes féminines qui composent ses Cabezas monumentales, de la série des Damas à Ivy en passant par Helechos et Ariela (2011).

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